LES DIVISIONS ORTHODOXES SUR L'ŒCUMÉNISME MÉNERONT-ELLES À UN SCHISME?

L’EXPRESSION DE L’ÉGLISE INDIVISE

Le débat sur l'œcuménisme resurgit régulièrement dans l'Orthodoxie et vient d'être relancé par la décision de la Cour suprême de Grèce ordonnant l’expulsion des moines qui occupent le monastère d’Esfigmenou au Mont Athos en refusant depuis 1965 l’autorité du patriarche de Constantinople au motif que sa collaboration avec les catholiques est une apostasie de la foi orthodoxe.


Il existe pourtant un quasi-consensus des Églises orthodoxes sur la poursuite du dialogue œcuménique. Le document "Relations de l’Église orthodoxe avec le reste du monde chrétien" du Concile de Crète (2016 (1) illustre un compromis consensuel et flou qui avait recueilli le consensus des délégués de toutes les 14 Églises durant le processus préconciliaire; par ailleurs le colloque de Metz (octobre 2015, (2) avait bien montré les origines de la Mission œcuménique orthodoxe et ses liens étroits avec les études patristiques: "force est déjà de reconnaître que la visée d’unité de l’œcuménisme trouve son écho chez les Pères qui sont non seulement l’expression de l’Église indivise, mais ceux qui les premiers ont œuvré à réaliser l’unité de leur vie et de l’Église, ce qui leur donne une place fondamentale dans la théologie, et qui en fait nos frères dans la vie de l’Esprit."

Pour autant, la majorité des Orthodoxes est massivement opposée à tout dialogue œcuménique, dont la présentation est largement déformée par les opposants, et cette opposition a pris une tournure dramatique depuis 2009.

CONDAMNATION DE LA «CONFESSION DE FOI CONTRE L’ŒCUMENISME»

Une charge violente contre toute forme de dialogue interconfessionnel était proposée à la signature des fidèles orthodoxes en 2009, notamment sur plusieurs sites Internet, sous le nom de «Confession de foi contre l’œcuménisme». Qualifiant l'œcuménisme de "nom commun pour les pseudo-Églises de l’Europe occidentale (…) Leur nom commun est en fait «panhérésie»". Le document condamne "ceux qui se meuvent dans cette irresponsabilité œcuméniste, quelle que soit leur place dans l’organisme ecclésial" en affirmant qu'ils "se trouvent en contradiction avec la tradition de nos saints et par voie de conséquence en opposition avec eux" et conclu "C’est pour cette raison que leur attitude doit être condamnée et rejetée par l’ensemble des hiérarques et du peuple fidèle."

Des textes de ce type circulaient depuis longtemps parmi les groupes extrémistes non canoniques (habituellement qualifiés de «zélotes», au premier rang desquels se trouvent les «vieux-calendaristes») mais, fait nouveau, la "Confession" était cette fois promue et approuvée par des personnalités connues et des fidèles rattachés canoniquement à l’Église orthodoxe, et en premier lieu l'Église de Grèce. Elle avait recueilli près de 10 000 signatures, dont une liste impressionnante de métropolites et évêques grecs, serbe et bulgare, d'higoumènes du Mont-Athos et d’importants monastères de Grèce, de Chypre, de Serbie et des États-Unis, de professeurs de facultés de théologie et de clercs, moines et moniales de Grèce, du Mont-Athos, de Serbie, de Roumanie, de Palestine et de divers autres pays. La Sainte-Communauté du Mont-Athos, plusieurs métropolites, et un professeur de dogmatique de l’Université Aristote de Thessalonique ont publié des déclarations indépendantes allant dans le même sens.

UN RISQUE DE SCHISME ?

Cette action avait alors inquiété le patriarche de Constantinople Bartholomée et son adjoint en matière de politique extérieure (qui est le principal artisan de la politique de rapprochement avec Rome et le président de la Commission internationale mixte de dialogue du côté orthodoxe), le métropolite Jean de Pergame (Zizioulas), qui ont tous deux publié des déclarations où est clairement évoqué UN RISQUE DE SCHISME AU SEIN DE L’ÉGLISE ORTHODOXE.

Mais il semble que, si risque de schisme il y a, c'est entre les dirigeants des Églises et ses principaux théologiens, qualifiés dans la "Confession" de "hiérarques et théologiens œcuménistes", et une grande masse de fidèles et clercs de terrain dans toutes les Églises historiques (cela semble moins vrai parmi les Orthodoxes des pays occidentaux, mais ils constituent une toute petite minorité non représentative de l'ensemble de l'Orthodoxie). Cette fracture traverse pratiquement toutes les Églises orthodoxes et me semble autrement plus grave que les divisions très géopolitiques provoquées par la question ukrainienne. Il s'agit là d'une question de fond qui dépasse l'Orthodoxie et concerne toute la Chrétienté.

Je reprends pour conclure une réflexion que faisait en 2007 JF. Colosimo: "comment une entreprise œcuménique finit-elle par déboucher sur une fracture intra-confessionnelle ? Nul doute qu’il y a là un mystère à méditer. Mais s’étonnera-t-on que, in fine, le Saint–Esprit se révèle une fois de plus le champion de l’antisystème ?" (in http://www.forum-orthodoxe.com/~forum/viewtopic.php?t=2241&start=15 )